Publication Emile HOOGE avec Antonin LEONARD sur Huffington Post.
L’économie collaborative propose de nouveaux modèles, porteurs de sens, pour le développement des territoires : de nouveaux modes de consommation privilégiant l’usage sur la possession, de nouvelles manières de produire en pair-à-pair, de nouvelles relations de confiance fondées sur le partage, les réseaux sociaux et la proximité et de nouvelles formules participatives pour financer des projets.
Cette économie émergente rassemble désormais de nombreux acteurs aux statuts variés, de la coopérative à la start-up en passant par l’entrepreneur indépendant, l’association et même certaines grandes entreprises. Elle offre une grande diversité de solutions et de services qui rencontrent des attentes concrètes du côté des usages. On trouve des plateformes de location entre particuliers (plateformes généralistes avec Zilok par exemple, spécialisées dans la voiture avec Drivy, ou les appartements avec AirBnB…), des dispositifs de financement participatif (Ulule, KissKissBankBank ou HelloMerci, Prêt de Chez Moi), mais aussi de nouveaux espaces de fabrication (FabLabs) ou de travail (coworking) en mode collaboratif, des individus qui s’organisent pour partager leurs déplacements en covoiturant (avec l’appui de plateformes globales comme Blablacar ou locales comme Covoiturage Grand Lyon) ou même des filières de distribution qui se réorganisent pour rapprocher producteurs et consommateurs (avec La Ruche Qui Dit Oui dans le secteur alimentaire).
Autour de ces nouvelles activités économiques et de ces lieux collaboratifs, se développent des communautés de confiance, locales ou en ligne, qui donnent encore plus de force à cette dynamique, permettant au territoire de produire des richesses économiques, d’améliorer la qualité de vie pour ses habitants, d’attirer des touristes ou de nouveaux résidents, tout en limitant les impacts négatifs sur l’environnement et en contribuant à renforcer le lien social autour de valeurs collaboratives.
Nous sommes convaincus que les territoires qui cultiveront un terreau fertile pour cette économie collaborative seront plus résilients face aux crises et plus agiles face opportunités du monde qui nous entoure. De manière opérationnelle, voici quatre outils pour commencer à y travailler :
1- Créer une base de connaissances pour partager les « codes sources » de projets collaboratifs
Pour accélérer la diffusion des nouveaux modèles de l’économie collaborative et favoriser leur appropriation large, le plus efficace est de partager leurs « codes sources », c’est-à-dire les bonnes pratiques, les modes d’organisation collaboratifs, les astuces juridiques, leurs systèmes de gouvernance, les nouveaux business models qu’ils ont inventé, etc. Ces connaissances regroupées au sein d’une plateforme collective et ouverte constituent un bien commun, utile à tous, qui doit être alimenté, protégé et géré par la communauté des entrepreneurs collaboratifs du territoire.
Par exemple, c’est la démarche de Movilab, incubateur de projets de modes de vie durable avec partage des connaissances et mise en commun de données au sein d’un wiki collaboratif. Imagination for People, en tant que communauté internationale de citoyens attentifs, fait aussi un travail remarquable de repérage des expériences d’innovation sociale afin d’en explorer la réplicabilité. Déclinée localement en Bretagne cette plateforme est notamment alimentée par l’association Collporterre dans le cadre de Bretagne Créative, le réseau ouvert et collaboratif de l’innovation sociale régionale.
2- Créer des incubateurs d’un nouveau genre pour des entrepreneurs collaboratifs
Un territoire qui souhaite faire émerger des activités viables dans le champ de l’économie collaborative doit d’abord donner envie à de nouvelles générations d’entrepreneurs de créer leur activité, mais aussi aller plus loin en les accompagnant dans leur développement. Ces entrepreneurs ont besoin d’incubateurs hors-normes pour inventer des business models d’un nouveau genre (gestion de plateformes de services en pair-à-pair, fonctionnement en open source, animation de systèmes de réputation, utilisation des réseaux sociaux), pour oser prendre des risques et explorer les « zone grises » aux limites des réglementations et pour se sentir reliés à des communautés nationales ou internationales d’entrepreneurs qui leur ressemblent.
Mettre en place un incubateur de projets hétérodoxes sur un territoire permettrait de soutenir l’émergence de nouvelles activités issues des forces vives locales. Cela permettrait à la collectivité de mieux cibler le type de projets qu’elle souhaite soutenir, de les ancrer dans le territoire et surtout de s’appuyer sur des entrepreneurs de la société civile déjà engagés afin de les accompagner tout au long de leur démarche de création collaborative.
3- Soutenir et animer de nouveaux lieux propices à la collaboration et au partage
Les plateformes en ligne ne suffisent pas et les citoyens-entrepreneurs ont besoin d’endroits pour se retrouver, pour travailler ensemble, ou juste sortir des espaces classiques dédiés au travail. Espaces de coworking, FabLabs, hackerspaces, autant de lieux d’un genre nouveau qui peuvent être appropriés par des communautés collaboratives, qui permettent de générer des rencontres surprenantes mais aussi d’installer des relations de confiance durables. Comme le montre l’exemple de Mutinerie à Paris (à la fois espace de coworking, lieu de formation, lieu de rencontres autour d’événements, hub de distribution alimentaire avec la Ruche qui dit Oui…), ces lieux ont un véritable potentiel pour devenir les centres névralgiques de la vie locale et de l’économie collaborative sur le territoire.
Conjugués aux communautés d’innovation « hors sol » ou « en ligne » tels que OuiShare, ces lieux peuvent être de formidables catalyseurs d’innovation pour des entrepreneurs indépendants, de jeunes startups, ou des démarches coopératives… à condition qu’ils soient bien animés et qu’ils ne soient pas une simple coquille pour héberger des activités banales. Dans des marchés immobiliers tendus, les modèles économiques des structures qui gèrent ces espaces sont fragiles et le choix de leur implantation géographique est difficile si l’on veut faire jouer pleinement leur fonction d’irrigation et d’emblématisation de l’ensemble de la communauté locale. C’est pourquoi, le territoire dans son ensemble (collectivités publiques, grandes entreprises, citoyens…) doit se mobiliser pour financer ces lieux, les installer durablement dans l’espace, les animer et les faire rayonner.
4- Développer l’utilisation de plateformes de financement participatif
Le financement participatif révèle en même temps qu’il fédère les communautés de confiance. C’est un levier puissant pour soutenir l’émergence et le déploiement de projets d’économie collaborative. Ainsi, plutôt que de tout attendre du soutien public et des appels à projets fléchés par les collectivités, l’ensemble des acteurs du territoire (collectivités incluses) pourraient se mobiliser dans des campagnes de financement participatif, sur des projets plébiscités localement.
Pour aller encore plus loin, pourquoi ne pas imaginer que les collectivités puissent financer de cette manière, collaborative, des projets publics qu’elle souhaite mener.
Certains territoires ont déjà franchi ce pas : en 2012 la région Auvergne a ainsi mis en place un dispositif pour financer des projets issus du territoire, avec l’appui de Ulule. Douze projets ont ainsi vu le jour en mobilisant 50 000 euros de financement avec plus de 900 donateurs, privés ou publics, grands ou petits (Crédit Mutuel, 3inature, Herbal T, Volvic, EDF, GDF-Suez, Banque Nuger, Agence départementale du Tourisme du Puy de Dome, et de nombreux habitants du territoire…).
Prenons en main ces outils et au travail !
En bons jardiniers, il faut éviter de tirer sur la plante que l’on veut faire pousser, mais plutôt biner et arroser autour. En bons jardiniers, c’est par la pratique et l’observation de son environnement que l’on apprend à cultiver un beau jardin. C’est tout le sens des 4 outils que nous proposons. Pour bien les utiliser il faut certes un peu d’agilité… Mais faisons le pari que des collectivités territoriales sauront s’en saisir pour soutenir la dynamique de l’économie collaborative et transformer positivement leurs territoires.
Image CC Flickr Retis – Giorgia Volpe